Quand on m’a demandé de présenter une communication sur ce thème apparemment inoffensif mais qui comporte quelques pièges, j’ai cru comprendre qu’il fallait relever la contribution de la langue et des études françaises à l’épanouissement de ses acteurs que sont les spécialistes des lettres françaises et surtout, le sens et l’intérêt des études des lettres. La réponse profonde, la signification dernière de nos études ne pourraient-elles pas être simplement,à la mesure de leur gratuité ?Pourquoi ne dirons-nous pas simplement :nous sommes des êtres inoffensifs,sans avidité,sans suffisamment d’indécence pour affronter la rentabilité immédiate et à court terme pour elle-même ? Ne serait-ce pas par cet aspect que nous nous savons honorables,et, lorsqu’on nous l’accorde, respectables ?De manière plus concrète,notre procès s’instruit,pour la conception moyenne,à partir de cette vérité lapidaire qui veut que l’on fasse lettres lorsqu’on ne peut faire autre chose. De manière plus visible, du fait des impératifs de l’organisation du pouvoir politique et de la production, les moyens de travail et les crédits sont,dans la plupart de nos facultés des Lettres,en nette réduction. Certaines contrées du monde vont jusqu’à vouloir fermer les départements d’études françaises en raison du recul de l’usage du français prenant comme prétexte la crise économique mondiale.
Une analyse honnête peut, certes, nous apprendre que le cadre général de nos études de lettres à l’image de toutes les autres sciences humaines, comme modalités pratiques d’une insertion productive dans la société, nous condamnerait à la modestie.
- Modestie,parce que nos multiples discours scientifiques –historiques,philosophiques, littéraires, linguistiques, sociologiques,didactiques,ethnologiques- seraient sans liaison entre eux et d’une certaine manière sans suite.
- modestie aussi, parce que, plus que dans les autres domaines, nous serions entrain de vivre intensément la crise de la raison renforcée par la crise économique mondiale ;
- Modestie enfin, parce que, dans un monde où, pour des raisons les plus raisonnables,l’utilitaire et l’opérationnel sont mis en avant,la gratuité de certaines de nos disciplines paraîtrait ressortir à la naïveté et à la douce folie. Le bon sens de l’empirisme nous condamnerait-il ? En tout cas, nous aurions tout l’air de parents pauvres dans un univers où l’efficacité est fonction du coefficient de rentabilité.
Devons-nous donc vivre notre modestie comme misère étant donné que misère signifie incommodité ? Discours scandaleux et scandalisant, n’est-ce pas ? Dans un cadre où l’on s’attend à se donner des lettres de noblesse. Ne serait-il pas judicieux d’ériger une interrogation en plaçant l’accent sur la pertinence d’une réflexion partie d’expériences multiples sur les fluctuations du devenir des spécialistes des lettres sur un espace mondial ? Plusieurs questions transparaissent derrière celle fondamentale qui consiste à s’interroger sur le variable destin du spécialiste des lettres françaises ? Parmi ces questions, celles qui interpellent au plus haut point notre triple conscience historique de didacticien, de didacticien du français langue étrangère et d’acteur qui aeu ,à une étape de son existence, la charge de promouvoir la langue française dans le monde.
Les spécialistes des études françaises sont des hommes et des femmes compétents dans les domaines classiques de l’étude et de l’enseignement des langues et des lettres. Ils sont réputés être, en plus de leur domaine de prédilection, d’excellents rédacteurs des rapports et lettres administratifs, garants de la norme grammaticale et orthographique. Et aujourd’hui, ils se retrouvent partout et surtout sans qu’ils se sentent ou qu’on se sente mal à l’aise, sans qu’ils ne s’acquittent parfaitement du rendement technique exigé ou attendu d’eux. Autrement dit, si tous les chemins peuvent conduire aux études françaises, inversement les études françaises conduisent à tous les chemins. On doit par ailleurs s’interroger avec raison aujourd’hui sur la place actuelle, les finalités et le destin des études françaises dans le monde. Cette question cesse de paraître banale, devient même angoissante quand on est attentif au triomphe de la lutte pour notre identité francophone face à l’extension progressive de la langue, de la culture et de l’influence anglo-américaine et à la non maîtrise manifeste du français dans l’espace francophone entraînant même le risque de sa fragmentation. C’est au spécialiste des études françaises d’affûter ses armes et de s’engager dans ce noble combat. C’est à ce niveau qu’on peut trouver des raisons d’assurance et des titres de gloire à la langue et aux études françaises.
L’homme qui vous parle a passé plus de la moitié de sa vie à réfléchir sur la langue française. Mon souci a toujours été celui de sauver la langue française tant dans sa structure interne que dans l’accroissement de son usage. J’ai pendant six ans travaillé à la promotion de la langue française à l’organisation internationale de la Francophonie. Ces charges sont venues compléter mes préoccupations antérieures .Si dans ma carrière d’enseignant et chercheur dans le domaine du français, j’ai centré mon attention sur la nature du français dans l’espace francophone, dans mes fonctions à l’Organisation internationale de la Francophonie, j’ai piloté des programmes ayant pour objectifs l’accroissement de l’usage du français dans le monde et dans diverses activités de la vie humaine. Ces deux perspectives sont complémentaires dans ce sens que la première observe le français dans l’évolution de sa structure interne et l’autre dans sa structure externe. Devant la menace qui pèse sur l’évolution de la langue et les études françaises, je me pose la question de savoir pourquoi la langue et les études françaises dans le monde ?
Les motivations d’une telle question : la langue et les études françaises seraient-elles en situation de détresse?
- On note une certaine persistance de la perte d’influence de la langue française, voire de son déclin dans le monde. Si, en termes absolus, le nombre de locuteurs du français aurait augmenté de 70 % au cours des trente dernières années, en termes relatifs le pourcentage de ceux qui le parlent serait passé de 2,4 à 2 ,1%.Ce mouvement serait plus prononcé dans l’avenir, la relève s’intéressant davantage aux cours d’anglais que de français.
- L’indifférence de l’opinion publique sur la question du devenir de la langue française, alliée au sentiment défaitiste des individus et des Etats, qui estiment que le combat est déjà perdu et de la trop grande fixation de certains gestionnaires de la langue française sur le cas de l’anglais, alors que l’attrait de ce dernier est essentiellement extralinguistique et se trouve lié au poids politique, économique et communicationnel .En réalité , la langue française a bénéficié, après son implantation dans l’espace francophone africain, d’un prestige et d’un rayonnement remarquable comme langue d’enseignement ou encore comme langue officielle, mais elle tend à perdre cette position privilégiée, dans certains domaines, au profit de la forme appauvrie de l’anglo-américain, langue dominante qui connaît de nos jours une expansion d’une ampleur sans précédent dans le monde.
- La situation des organisations internationales est à ce sujet fort éclairante D’après les sources onusiennes, le pourcentage de réunions sans interprétations est passé de 58% en 1994 à 77% en 2003.A New York, l’anglais, le chinois ,l’espagnol ,le français sont des langues de travail ;mais un document intitulé « Stratégie pour le respect et le rayonnement du français et du multilinguisme au sein des organisations internationales basées à Genève » établi par la représentation permanente de l’OIF souligne le recul du français comme langue officielle et langue de travail des organes délibérants, la perte de terrain du français ,la difficulté d’accessibilité d’une information multilingue dans les publications et les sites de ces organisations.
Dans les Organisations africaines notamment à l’Union africaine dont trente pays membres sont aussi membres de l’OIF, le français est l’une des langues officielles. Dans le fonctionnement quotidien, la Commission de l’Union africaine utilise presqu’exclusivement la langue anglaise. Globalement, on estime à 30% le nombre d’ouvrages disponibles en français à la bibliothèque de l’Union africaine. L’information officielle accessible sur le site Internet est disponible en français mais l’actualité est fournie en premier lieu en anglais. D’après les textes, la maîtrise d’au moins deux langues officielles est requise. Mais dans la pratique, c’est la langue anglaise qui prime.La situation n’est pas plus rassurante à l’Union européenne .La langue française qui, au départ, disposait d’un réel statut international, se trouve , avec les diverses phases d’élargissement passée et à venir, dans une position largement inférieure par rapport à l’anglais. - L’insuffisance des ressources disponibles pour assurer l’expansion du français, l’offre du français sur le plan mondial étant nettement inférieure par rapport à la demande.
- La décolonisation inachevée de l’image de la langue française et sa capacité plutôt relative de nommer la modernité scientifique et technologique. En effet, certaines études réalisées ( voir rapport établi pour la Société des gens de Lettres de France par Jean Pierre Digard, décembre 2004) , montrent que comme langue de science, la langue française est devenue minoritaire .Pour ne reprendre que le domaine des publications ,en 2001,le décompte par langue place le français avec 21779 publications (soit 2 ,1% du total mondial),en deuxième position des langues de science, mais très loin derrière l’anglais avec 955036 titres(soit93,9% du total).Ces chiffres, déjà faibles, s’inscrivent dans un mouvement lent mais régulier de décroissance des publications scientifiques en français. Celles-ci représentaient en effet, 2,1% du total mondial en 2001, 1,7% en 2002, 1,6% en 2003.
- « L’étude sur l’usage des langues vivantes dans la recherche (ELVIRE) menées depuis 2007 par l’Institut national d’études démographiques(INED) pour le compte du ministère français de la Culture et de la Communication, a dressé un état des lieux approfondi des pratiques et des opinions individuelles relatives aux langues vivantes dans la recherche. D’après les premiers résultats de cette enquête,92% des répondants estiment que l’anglais est la langue internationale la plus utilisée. Elle est la seule langue pratiquée dans la recherche pour 65% des chercheurs, l’allemand s’y ajoute avec 6% des cas et l’espagnol dans 5% des cas. L’anglais est utilisé par environ 98% des scientifiques au cours de leurs travaux tandis que les autres langues sont utilisées dans respectivement 16% et 15% des cas. Environ 63% des chercheurs utilisent l’anglais quotidiennement ou presque dans leurs travaux… »(Voir La langue française dans le monde 2010,Paris, Nathan-OIF,2010,PP319-320).
- La rigidité de la norme propre à la langue française qui l’empêche d’accéder au rang de la langue à la mode (voir à ce sujet Diversité culturelle et linguistique : quelles normes pour le français ?, Paris, AUF, 2001). La nature du français dans le monde est fonction de ses contacts avec les autres langues entraînant un impact réel sur sa structure .Dans ce mouvement de contacts et d’échanges, les structures nouvelles se superposent sur les anciennes, compliquant l’orientation des vecteurs finaux qui façonnent les dialogues entre les langues. Le français qui constitue l’outil de travail et de communication des francophones, socle de la Francophonie, est l’objet de contacts avec d’autres langues provoquant ainsi sa diversification .Diversité des langues mais aussi diversité du français ,car le français sous l’influence de son environnement risque d’éclater en plusieurs variétés discontinues entre elles dont quelques-unes sont en relation de continuité avec des formes d’expression de l’environnement qui les utilise, soit un ensemble continu de parlers dont la variabilité dépend de la compétence du locuteur. Il ya là perturbation des normes de référence .Le passage de la norme aux normes ne donne-t-il pas naissance à la fragmentation en plusieurs types de français ? C’est en ayant conscience de toutes ces réalités qu’on finit par se poser la question sur la nature du français à enseigner dans le contexte plurilingue africain au regard de la diversification dont il est l’objet .Il en est de même des stratégies et des outils didactiques à mettre en place pour l’enseignement des langues dans ce contexte africain comme le souligne le rapport général des Etats généraux de l’enseignement du français en Afrique francophone subsaharienne : « Parmi les principales questions posées émerge celle de la nature et de la qualité du français à enseigner en Afrique .Les bilans minutieux et parfaitement convergents auxquels se sont livrés tous les observateurs et acteurs de terrain présents à Libreville font apparaître un certain nombre de questions préalables qui doivent aujourd’hui être pris en compte… » Quel type de français doit-on enseigner ?Doit-on tenir compte de ces particularités ? Autant de questions qui se posent dont il faut tenir compte à un certain niveau de formation et de maîtrise de la langue française pour éviter de compromettre l’intercompréhension.
Et pourtant…
Malgré ce constat quelque peu sombre de la situation du français dans le monde, la langue française occupe encore une position confortable dans le paysage linguistique mondiale :
- Parler de la situation du français dans le monde évoque à la fois son statut dans le monde, son usage traduit par le nombre de ses locuteurs et sa nature. Les études récentes font état de 220 millions de locuteurs de français langue maternelle, de 61 millions de locuteurs maîtrisant partiellement le français et de 89 millions de jeunes ou d’adultes qui ont choisi d’apprendre le français. La langue française est parlée sur les cinq continents par 265 millions de personnes. Elle est le lien fondateur de 75 Etats dont 32 l’ont adoptée comme langue officielle. Treize pays l’ont comme l’unique langue officielle, en Afrique (Bénin, Burkina Faso, Congo, Côte d’Ivoire ,Gabon, Guinée, Mali, Niger, République démocratique du Congo, Sénégal, et Togo) et en Europe (France et Monaco).La langue française partage le statut de langue officielle avec une ou deux autres langues dans huit pays d’Afrique (Burundi, Cameroun ,République centrafricaine, Comores, Djibouti, Guinée Equatoriale, Madagascar et Rwanda), dans deux pays d’Amérique (canada, Haïti), dans trois pays d’Europe (Belgique ,Luxembourg ,Suisse),dans un pays de l’Océanie (Les Seychelles et dans un pays d’Asie (Vanuatu).Il ya lieu de noter la présence des pays qui ont le français comme langue non maternelle et non officielle .C’est le cas en Afrique du Nord (l’Algérie, le Maroc ,la Tunisie ,l’Egypte),en Europe Centrale et Orientale(la Moldavie, la Pologne, la Roumanie, la Bulgarie, la Grèce ,etc.).
- Dixième langue du monde par le nombre de locuteurs, elle est la deuxième langue (après l’anglais),par l’étendue spatiale et par le positionnement comme « langue officielle » dans une trentaine d’Etats (quarante-cinq pour l’anglais !).
- L’espace francophone sert environ 653 millions de consommateurs qui représente 24% du commerce mondial et draine 20à 25 % de flux touristiques.
- La langue française est la deuxième langue étrangère la plus choisie dans le monde. Dans les organisations internationales, comme langue de communication mondiale, elle est la langue officielle et de travail de l’ONU(avec l’anglais, le russe ,l’arabe ,le chinois et l’espagnol) ,du Conseil de l’Europe, de l’OCDE et de l’OTAN(avec l’anglais),de l’ALENA ‘avec l’anglais et l’espagnol),de l’Union africaine(avec l’anglais ,l’arabe ,le portugais et le swahili) ( cfr R. Renard, Ethique de la Francophonie, CIPA,2006).
- La langue française est la langue par excellence de création littéraire. En effet, le français ne trouve de prestige et ne pourra garder son statut de langue internationale, de langue d’émotion aussi, qu’à condition qu’il continue à être illustré. Quelle meilleure preuve de ces qualités du français que le fait que ce soit des écrivains dont le français n’est pas la langue maternelle qui utilisent comme langue d’écriture privilégiée le français. On peut citer un grand nombre d’écrivains qui utilisent le français comme langue d’expression. Ne faut-il pas citer parmi eux ,les anglophones qui offrent les cas les plus exemplaires ,dans la mesure où ils pourraient utiliser une langue qui bénéficie d’un prestige international au moins égal au français ?Parmi ces derniers, on peut penser à Samuel Beckett ,à John Little mais on peut penser aussi à d’autres européens que ce soit des roumains comme Cioraou, Ionesco ou que ce soit des slaves comme Kundera. On peut citer encore bien d’autres écrivains, par exemple les écrivains arabophones, comme Naïm Kattan mais aussi les maghrébins comme Yasmina Khadra, Driss Chraïbi, Boualem Sansal, des écrivains créolophones comme Confiant, Chamoiseau, Césaire et enfin des écrivains africains d’Afrique Noire comme Kourouma, Hampaté Bâ, Léopold Sédar Senghor, Cheik Hamidou Kane ,Sony Labou Tansi , Henri Lopes, Alain Mabanckou, Ferdinand Oyono, Mudimbe, Dieudonné Mukala Kadima Nzuji ,Pius Ngandu et bien d’autres.
Mais pourquoi choisissent-ils la langue française comme langue d’écriture?
Il faut se tourner vers les écrivains qui ont choisi le français comme langue d’écriture pour trouver réponse à cette question délicate .Pour les écrivains issus des pays africains francophones ,le choix de la langue française peut sembler une contrainte mais différentes sensibilités se font jour dans ce rapport à la langue d’écriture.
Jacques Chevrier distingue trois types de réactions : les réticents comme Sembene Ousmane qui écrit à contrecœur en français et se prononce paradoxalement en français pour une politique linguistique favorisant les langues africaines : « On ne décolonise pas l’Afrique avec les langues étrangères. La langue est un problème national ».Il ya aussi les réalistes qui acceptent le fait historique en regrettant de ne pouvoir écrire en langue africaine, comme Jean-Baptiste Tati-Loutard qui reconnaît que la littérature congolaise orale est certainement sa littérature la plus accomplie dans la mesure où elle s’accorde parfaitement avec les traditions culturelles .Mais ,il ajoute qu’elle est en train de perdre son support et son statut et que le passage par le français est un biais obligé. Tchikaya U Tam’si va dans le même sens et accepte le recours au français comme phénomène naturel mais à condition de le « tropicaliser » : « La langue française me colonise. Je la colonise à mon tour. » Enfin, il ya les enthousiastes comme Senghor qui multiplie les professions de foi favorables au français, comme dans la postface de son recueil Ethiopiques :
« C’est le sceau de la Négritude, l’incantation qui fait accéder à la vérité des choses essentielles : les forces du Cosmos. Mais on me posera la question : « Pourquoi, dès lors, écrivez-vous en français ? »Parce que nous sommes des métis culturels, parce que, si nous sentons en nègres, nous nous exprimons en français, parce que le français est une langue à vocation universelle. Car je sais ses ressources pour l’avoir goûté, mâché, enseigné et qu’elle est la langue des dieux. Ecoutez donc Corneille, Lautréamont, Rimbaud, Péguy et Claudel. Ecoutez le grand Hugo. Le français, ce sont les grandes orgues qui prêtent à tous les timbres, à tous les effets, des douceurs les plus suaves aux fulgurances de l’orage. Il est tour à tour ou en même temps, flûte, hautbois, trompette, tam-tam et même canon. Et puis le français nous a fait don de ses mots abstraits-si rares dans nos langues maternelles-, où les larmes se font pierres précieuses. Chez nous, les mots sont naturellement nimbés d’un halo de sève et de sang ;les mots français rayonnent de mille feux, comme des diamants, des fusées qui éclairent notre nuit. »
Des raisons d’espérer.
Au regard de ce paysage, le maintien de la langue française dans son statut de langue de communication mondiale et des études françaises est donc une nécessité vitale, à la fois pour ne pas être complice de l’atrophie du patrimoine linguistique mondial et pour ne pas accentuer la marginalisation de vastes régions du Sud, notamment l’Afrique, pour qui l’accès à la mondialisation, pour des raisons historiques, ne peut se réaliser, dans l’immédiat, que par elle. L’enjeu dans cette perspective, serait de consolider les positions déjà acquises par la langue française grâce à l’existence des départements d’études françaises dans le monde et, de là, de lui assurer un grand rayonnement, y compris au sein des institutions régionales, en tenant compte de la diversité de la demande, de la prise en compte des plurilinguismes nationaux et de l’appropriation du français par les communautés nationales et régionales.
L’Europe constitue le berceau originel de la langue française, terrain où elle a connu une forte expansion, à travers des siècles, comme langue des élites, en même temps qu’elle essaimait sur les autres continents comme langue administrative. Ici comme ailleurs, elle a bénéficié, après son implantation, d’un prestige et d’un rayonnement remarquable comme langue d’enseignement ou encore comme langue officielle. L’enjeu serait d’élaborer des actions concrètes de diffusion de la langue française et de négocier son statut dans le paysage linguistique mondial pour ainsi mettre en place une dynamique spécifique capable d’assumer cette situation concrète.
Comme on le voit, la mise en place de dispositifs cohérents de formation dans ce secteur demeure ainsi une priorité, de même l’élaboration de solutions contextualisées impliquant la focalisation sur la langue française offrant des perspectives professionnelles et le développement d’une coopération régionale.
On ne peut s’imaginer inverser la tendance linguistique dans le monde sans la mobilisation de tous les Etats et gouvernements et des milliers de fonctionnaires francophones exigeant la reconquête de la parole des diplomates et agents des organisations internationales et une concertation autour de l’action de promotion du français. L’identification préalable des contraintes susceptibles de limiter l’usage de la langue française dans les institutions permet de circonscrire les déclinaisons tactiques nécessaires.
Pour l’Afrique Subsaharienne, un travail doit être accompli pour permettre de nouvelles approches curriculaires et l’accent doit être mis sur la définition des compétences de base en français dans un contexte multilingue. Ce mouvement doit obligatoirement s’accompagner de mesures spécifiques pour la formation de maîtres de l’école de base par le renforcement de leurs compétences linguistiques en langue française. La question de la qualité de l’enseignement doit être au cœur des préoccupations. Il faut aussi réaliser des actions susceptibles d’améliorer effectivement l’articulation entre le français et les autres langues nationales dans l’apprentissage du français. La stratégie devrait consister dans le soutien à des actions de terrain pour la diffusion de la langue française notamment dans l’enseignement du français et en français.
Il faut accompagner et soutenir la forte demande en faveur de l’enseignement du français et en français .Le renforcement des politiques linguistiques et éducatives est à prendre en considération afin de permettre aux pays africains d’obtenir une amélioration des compétences des élèves, une meilleure adaptation à un enseignement supérieur de qualité.
Les mesures incitatives et clairement volontaristes, au sein des systèmes éducatifs, pour un apprentissage construit du français et en français permettront de résoudre à terme ces difficultés ou à les atténuer .Dans le cadre d’un multilinguisme équilibré, le français devrait en effet être perçu comme un atout de développement, d’échanges, de mobilité et de promotion de la diversité culturelle.La mise en place de dispositifs cohérents de formation dans ce secteur demeure ainsi une priorité de même que l’élaboration de solutions prenant en compte la gestion du multilinguisme.
Aujourd’hui, on s’intéresse beaucoup à l’avenir du français (Voir à ce sujet l’ouvrage produit sous la direction de J. Maurais, P. Dumont, J. M. Klinkenberg, B. Maurer et P. Chardonnet, L’avenir du français, Paris-Montréal, éditions Archives contemporaines et AUF, 2008. Pour assurer l’avenir du français dans le monde, il faut des stratégies fortes car l’existence et la réalité d’une langue se situent dans l’esprit des personnes qui l’utilisent. Elle ne peut exister que si une communauté la parle et la transmet. Dans ce contexte, la force d’une langue repose avant tout sur la jeune génération qui doit bien l’apprendre car les langues sont en danger lorsqu’elles ne sont plus transmises. La Francophonie joue à ce sujet un rôle important dans le domaine de l’enseignement du français. Le français a un réel atout que constitue la communauté francophone. La multitude d’instances et d’organismes chargés de promouvoir le français dans le monde constitue une force dans la mesure où les différents acteurs engagent dans le bilatéral et dans le multilatéral, des actions coordonnées, résolues et d’ampleur pour garantir l’avenir de la langue française dans le monde. Mais la promotion institutionnelle de la langue serait vaine sans son usage et celui-ci est, en définitive, un acte individuel qui relève aussi de la responsabilité de chacun.
Pour l’efficacité des actions à venir, il est question :
- de mettre au point un système d’analyse statistique pour juger à l’avenir de l’effectivité de l’usage du français dans le monde et dans les organisations internationales .La Francophonie a prévu dans sa programmation « une cellule de l’observation du français ».
- de mobiliser les pays membres de la Francophonie : un vade-mecum pour la relance du français dans la vie internationale a été adopté au Sommet de Bucarest et le concept de pacte linguistique.
- de renforcer la coopération avec les autres organisations et les organismes linguistiques francophones intervenant dans le domaine de la promotion et de l’enseignement du français dans le monde.
En réalité, puisqu’en dépit de sa diversité, la langue française est « une », elle devrait en principe faire l’objet d’une politique commune de son affirmation et de son rayonnement .Une politique qui aurait pour effet non seulement de confirmer le statut communautaire de la langue, mais de permettre la mise en commun des moyens disponibles au service de son développement. Il revient à la Francophonie institutionnelle, qui est le lieu tout indiqué de mobilisation générale en faveur du français, de mettre en place une telle politique globale, capable d’inspirer l’ensemble des interventions possibles, bilatérales et multilatérales, institutionnelles et privées. Ce rôle de la Francophonie devrait s’exercer au moins à deux niveaux : d’abord celui de l’élaboration et du suivi de cette politique globale, ensuite celui de suivi des stratégies ciblées, par régions et par domaines. Dans la mise en œuvre de toutes ces stratégies, on s’appuierait sur les réseaux composés des acteurs de terrain notamment les services des langues des pays membres, les offices des langues, les observatoires de langues, les institutions et les conseils des langues. Pour cela, la mise en place des réseaux des opérateurs et organismes linguistiques de terrain à composition légère pour la maîtrise du tissu concret de la politique des langues sur le terrain est nécessaire. Et, là la présence des départements des études françaises est d’une importance capitale.
Pour conclure.
Comme on peut bien le voir, la question de la situation et du choix du français et des études françaises est une question à la fois politique, linguistique et culturelle. C’est une question fondamentale qui soulève le problème de son pouvoir créateur et des raisons sociales, politiques ou personnelles de son choix. Elle pose aussi le problème de l’avenir même du français .On peut penser au récent ouvrage de Jean-Louis Roy au titre interrogatif, Quel avenir pour la langue française ? Francophonie et concurrence culturelle au XXe siècle (Montréal, Hurtubise, 2010) et à l’ouvrage de Julien Kilanga Musinde Langue française en Francophonie .Pratiques et réflexions (Paris, L’Harmattan, 2009). Cet exercice de prospective a une certaine utilité qui consiste à mettre en lumière la confrontation des visions de l’avenir et souvent d’analyse des choix du présent et du passé. Au regard de la situation actuelle de la langue et des étudesfrançaises dans le monde, la consolidation des choix actuels nécessite des stratégies fortes. La Francophonie qui considère la langue française comme langue en partage des pays membres et comme une langue à partager devra jouer à ce sujet un rôle important dans le domaine du rayonnement de cette langue .La communauté francophone constitue un réel atout pour la langue française. Mais la promotion institutionnelle de la langue serait vaine sans son usage et celui-ci est, en définitive, un acte individuel qui relève aussi de la responsabilité de chacun. Et l’écrivain francophone, de par son pouvoir créateur, constitue un atout majeur dans la consolidation du choix de la langue car la littérature est non seulement productrice de la langue, mais elle constitue un point d’attraction pour ce qui concerne le français. Le soutien de cette forme de créativité allant de l’initiation à l’écriture à des facilitations pour l’exercice de cet art en passant par la mise en place d’une politique d’incitation à la création assurera la pérennité des choix opérés à tous les niveaux. Pour ainsi renforcer la position du français dans le monde et justifier le choix de cette langue, la Francophonie devra positionner la langue française comme espace de rencontre et d’échange de cultures différentes, sans rien sacrifier de leurs génies propres .La langue française dispose déjà d’une grande expérience dans ce domaine. Langue de la diversité culturelle, la langue française se doit de dialoguer avec les autres langues en établissant des synergies avec les langues de son environnement immédiat. L’enseignement du français serait un mode de distribution de cette interculturalité dans les différentes régions de son espace en veillant à ce que « la langue en partage et à partager » soit de plus en plus compétitive, comme langue du savoir et du savoir-faire, car la vitesse du développement technologique et industriel impose aujourd’hui aux langues un effort permanent d’adaptation aux réalités et aux enjeux de la société mondialisée multilingue. Quel autre cadre pourrait efficacement jouer ce rôle que les départements des études françaises et les facultés des lettres. La vigilance s’impose pour éviter d’anéantir ce trésor dans le gouffre de la crise économique mondiale.
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